Babingtons

Fondé en 1893 par Isabel Cargil et Anna Matia Babington et toujours dirigé par la famille d'Isabel, Babingtons est un coin tranquille au style sobre et élégamment excentrique, si typiquement anglo-saxon.

Donnant sur l'escalier de la Piazza di Spagna, avec son enseigne en lettres de bronze sur une plaque en travertin romain, il accueille ses clients avec des thés savamment mélangés et une carte pleine de plats sucrés et salés, dans le respect de la tradition anglaise, allant des repas légers aux thés victoriens. Comme à ses origines, il est resté "l'adresse mondaine d'une clientèle de choix" (Guida Monaci, 1899). Dans le magasin de thé situé à l'intérieur du salon, vous pouvez acheter du thé du monde entier et une variété de mélanges signés Babingtons préparés avec des ingrédients soigneusement sélectionnés.

Rory Bruce - la quatrième génération qui dirige aujourd'hui le salon de thé historique avec Chiara Bedini - nous parle de ses liens avec Rome, de ses anecdotes et de ses particularités.

"Comme dans les boîtes chinoises où chaque histoire en présente une autre à son tour, notre local est un carrefour de petites et grandes histoires, d'anecdotes et de particularités, qui se sont entremêlées à l'histoire de Rome et qui ont fait se rencontrer et dialoguer différentes cultures et traditions, autour d'une tasse de thé. Aujourd'hui, nous sommes la quatrième génération à diriger Babingtons, et la cinquième est déjà en place : toute notre famille est passée par ici, comme dans un grand salon ouvert aux anciens et nouveaux amis. Plus qu'une entreprise, il représente une extension de la famille, comme c'est le cas aujourd'hui pour nos clients.

En 2018, nous avons fêté notre 125e anniversaire, mais tout a commencé grâce à l'ingéniosité de deux jeunes femmes anglaises de bonne famille. L'une d'entre elles était mon arrière-grand-mère Isabel : laissée par son fiancé juste devant l'autel, elle est partie pour l'Italie avec son amie Anna Maria Babington sur les traces du Grand Tour. Après Venise et Florence, Isabel et Anna Maria sont arrivées à Rome... Et elles en sont tombées amoureuses. Rome, à la fin du XIXe siècle, était une ville compliquée mais vitale, pleine d'artistes et d'hommes de lettres, avec une importante communauté anglo-saxonne gravitant justement autour de cette zone, à tel point que la Piazza di Spagna s'appelait alors Piazza di Inghilterra. Elles se sont jurées d'y retourner, avec l'idée de faire quelque chose. Mais quoi?

À l'époque, en ville, le thé n'était encore disponible qu'en pharmacie, mais les Anglais étaient nombreux et l'amour du thé était impérissable : Isabel et Anna Maria ont donc décidé d'investir leurs économies, 50 livres sterling chacune, et de se lancer dans cette aventure. Le premier salon dans la Via dei Due Macelli était très petit, on ne buvait qu'un seul type de thé à base de Darjeeling - qu'elles mélangeaient et servaient elles-mêmes - mais la nouvelle parut dans les journaux : enfin une bonne tasse de thé à Rome et avec des toilettes pour dames. Nous sommes en 1893 : deux dames qui créent une entreprise sont déjà un événement hors du commun.

Au fil des années, à partir de la crise économique de la fin des années 20 aux deux guerres mondiales, il y a eu naturellement d'importantes évolutions et beaucoup de transformations, tant dans le mobilier que dans la carte, mais avec une constante : nous n'avons jamais fermé. Nous sommes restés ouverts même pendant la Seconde Guerre mondiale, tout en étant un salon de thé anglais : dans la première salle, les hiérarchies fascistes se réunissaient, dans la dernière, les antifascistes, qui sortaient de la cuisine. Pour maintenir le service, le personnel de Babingtons a même apporté ses propres rations de la maison.

De génération en génération, l'esprit pionnier des deux fondatrices s'est également transmis dans la cuisine : il est écrit dans les journaux intimes de grand-mère que nous avons été les premiers, à la fin des années 1940, à servir des hamburgers à Rome. Et tout cela parce que notre grand-mère avait à l'époque une "invitée payante" américaine qui lui avait parlé du succès que cette nouvelle boulette de viande aplatie connaissait aux États-Unis. Nous avons également été les premiers à adopter un modèle d'hospitalité "généralisée" et sans horaires. À tout moment de la journée, il était possible de manger tout ce qui se trouvait à la carte, des communs scones et muffins aux plats salés introduits au fil du temps, de tradition anglaise ou liés au passé colonial, comme le curry sous toutes ses formes.

Entreprenants et novateurs, mais sans jamais manquer de respect et de discrétion. Par principe, nous ne disons jamais ce qui se passe à l'intérieur de Babingtons, quelle que soit la notoriété de nos clients, aujourd'hui ou hier. Mon grand-père avait été le directeur de la MGM en Europe, et ma grand-mère également avait commencé à travailler dans le cinéma après la guerre, avec les grandes productions américaines tournant dans les studios de Cinecittà. "Venez déjeuner chez Babingtons", telle était l'invitation lancée à tous : d'Audrey Hepburn à Richard Burton et Liz Taylor, qui, juste ici, ont donné le coup d'envoi de leur liaison clandestine. Une fois, j'ai trouvé un paparazzo dans la cuisine et nous l'avons accompagné à l'extérieur : nous sommes une zone libre, une oasis de tranquillité, facile, simple et d'une élégance intemporelle. Et sans faste inutile : un peu comme le noble anglais classique avec un pull troué.

Le thé, surtout s'il est de qualité, met en valeur chaque moment de la journée mais c'est aussi une pause à consacrer à soi-même, un moment de détente et de réflexion, à savourer et à valoriser, un rituel à doser avec la juste attention. Peut-être allons-nous à contre-courant, aujourd'hui comme à l'origine, dans un monde qui tourne de plus en plus vite et dans lequel le temps semble être devenu le bien le plus recherché et le plus rare. Mais le thé est aussi un activateur de relations, une occasion d'être ensemble, de parler. Les jeunes qui viennent ici me remplissent de joie et c'est pour cela que, en plus de travailler avec des chefs étoilés pour créer des menus combinés au thé ou pour créer des mélanges "sur mesure" pour les entreprises, nous organisons des activités dédiées aux écoles, pour aider les nouvelles générations à comprendre la valeur du partage, de la "lenteur" et des relations. Le succès de notre activité s'est surtout décrété par le bouche-à-oreille, des grands-parents aux petits-enfants. La communication telle qu'elle est comprise aujourd'hui est certainement importante, mais ce n'est pas ce qui a fait notre histoire : l'histoire des Babingtons est faite par des personnes, par ceux qui ont travaillé avec nous et par ceux qui viennent nous rendre visite. Et je crois qu'ils continueront à le faire".

Photo par le Compte officiel Facebook